Petits passages, petits sentiers.
Petites
coulées entre les oublis et
le
passé. Petits
signes de mémoires.
Pistes
entortillées qui s’en vont à
l’écart. Je regarde les chemins
et les routes, mais je
marche
sur les Traces et tracées.
La
Trace
est plus fragile que la
route.
L’herbe peut la couvrir. Mais
elle se crée et se recrée,
de jour en jour, se
déplace
et s’adapte. Il suffit pour
cela que quelqu’un — toi,
moi,
une jeune fille, une madame
au
combat — marche avec elle,
rêve avec elle, et espère
avec
elle. La Trace demeure vivante
si les gens sont vivants.
Métiers créoles: tracées
de
mélancolie — Patrick Chamoiseau
À propos
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« Évoquer une culture (française) ne signifie pas succinctement de lui attribuer une terre,
un
peuple et des rites qui pourraient en faire sa spécificité. C’est aussi lui restituer sa mémoire
et
attester sa capacité à se réinventer, à tisser avec un présent pluriel, où chacun peut être soi
avec
ses qualités et ses défauts »
dach&zephir
Initiée en 2015, Élòj Kréyòl (ÉK) est une recherche par le design qui porte sur la (re)valorisation et la transmission des histoires et cultures créoles qui s’édifient en Guadeloupe et en Martinique. Elle s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion menée à travers le mémoire de fin d’étude de Dimitri Zephir — Les mailles fertiles d’un créole, ENSAD, 2015 — et constitue aujourd’hui un volet à part entière des activités du studio.
En assemblant les éléments épars qui constituent les biographies de ces îles, en partie annihilées par la traite négrière et l’esclavage colonial qui y ont sévi, le projet incarne notre volonté de réconcilier et réactiver les lignes de vie artisanales et culturelles qui ont été négligées dans la généalogie de l’archipel des Antilles françaises. À travers des réponses multiples — objets-témoins, essais textuels et visuels, ateliers à destination de jeunes publics ou encore conférences — il s’agit d’interroger ces savoirs et savoir-faire, pratiques, gestes, rituels/scènes de vie, souvent oubliés ou minorés, dans une dynamique contemporaine de création par le design.
Nous nous intéressons à ces « phénomène[s] de créolisation » ( Tout-Monde, 2007) que décrit le poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant pour qualifier les attitudes et processus à l’œuvre au sein des communautés créoles dès lors où l’esclavage sévit : « ils (les esclaves) n’ont pas acclimaté leur culture, liée à l’Afrique lointaine, aux Antilles. Ils ont fait au mieux avec les ressources qui leurs étaient accessibles. Ils ont appris à jouer avec les contraintes et les potentialités qui étaient les leurs. Et parce qu’ils ont vécu repliés sur eux-mêmes, ils ont inventé des solutions qui leurs ont été propres. Ils ont donc développé des attitudes, des façons de dire et de nommer les choses et d’interpréter le monde qui n’appartiennent qu’à eux » écrivaient les auteurs d’Être esclave, Catherine Coquery-Vidrovitch & Eric Mesnard.
Face à la violence et la déshumanisation de la Plantation, la réponse des anciens esclaves est la création d’un modèle social inédit et inextricable, au carrefour des cultures, des héritages et des créativités. Une exploration du Divers qui déconstruit ce que l’habiter colonial a tenté d’imposer : un habiter-sans-l’autre ( Malcom Ferdinand, 2020).
Penser le monde actuel à partir de l’expérience de l’île et des communautés créoles, c’est la
proposition que fait Édouard Glissant dans son œuvre poétique, regardant cette créolisation aux
Antilles comme une façon de « faire société/communauté », d’être au Monde et dans le
Monde.
Cette pensée, largement popularisée par son
Traité du Tout- Monde, Poétique IV (Gallimard, 1997) propose
de se saisir de ces expériences de créolisation pour comprendre le monde d’aujourd’hui et
construire
le monde de demain, où « les cultures et les créativités entrées en relation deviennent une
réponse
aux fractures sociales et aux modèles dominants ».
Si cette notion —
politique, sociologique et poétique — a été habillement abordée dans des pratiques
curatoriales — Martin, 1989 ; Enwezor, 2003 ; Jiménez Suriel & Guardiola,
2020 ; Chris Cyrille,
2023
—
et devenue l’apanage de nombreux artistes contemporains — Chassol, 2007 ; Julien
Creuzet,
2008 ;
Kenny Dunkan, 2014 ; Minia Biabiany, 2022 — ses potentialités, ses modalités
comme
ses
limites
n’ont
été que peu interrogées par le champs de la création en design.
Pourtant, par filiation indirecte, la créolisation (par le design) est une manière d’envisager
une
façon
de « faire projet » / « faire
du design » : elle se fait l’écho de nouvelles modalités de création qu’il s’agit
aujourd’hui
d’éprouver, ouvrant à une nouvelle pensée du design — le design créole — et par la
même
à un
nouveau
paradigme du design français.
Le design français à l’ère de la créolisation suggère la création d’une narration riche et partagée des savoirs et des héritages. Un design en/de relations, embrassant la pluralité des histoires culturelles et des histoires créatives d’une France plurielle. Une approche du design qui ne peut se penser qu’à la condition de la présence des autres.
Cette recherche de terrain, à perspective manifeste et décoloniale, fait du monde créole le lieu
de
productions des discours et du savoir, déconstruisant une vision du design, bien souvent
européocentré.
Le design devient ici une façon de donner forme aux paroles et histoires des communautés
créoles,
dont les voix n’ont été que peu entendues et reconnues. Il tente alors de répondre à la question
de
la mise en lumière des savoirs oubliés, mais aussi des formes et modalités de leur restitution
et
transmission, dans un véritable effort de décolonisation des pensées.
Il est une façon d’attester
l’historicité des cultures créoles, plus que jamais vivantes et inspirantes, donnant la
possibilité
à chacun — en particulier les plus jeunes, les futurs ambassadeurs — de se reconnaitre,
s’enrichir,
et s’élever fièrement. Et enfin, se présenter au Monde.